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Un Objet, un Jour

26 avril 2014

L'Objet, la Pomme



la Vierge et l'Enfant Jésus sous le pommier


La Vierge et l'Enfant Jésus sous le pommier

oeuvre de Lucas Cranach l'Ancien
(musée de Saint-Pétersbourg)




(site wikipedia)

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26 avril 2014

Jour de départ

Jour de départ.  Ma mère dépose ses tâches ménagères.  Voilà un fait bien surprenant lorsque l’on connait son ardeur et son goût pour les nettoyages en profondeur. 

Une ménagère remarquable, sa mère.  Telle une déesse, elle régnait sur son intérieur bien ordonné, le désordre n'osait y poser son aile.  Nul grain de poussière, nul livre déposé par un geste rêveur, seules des surfaces planes astiquées jusqu'à l'usure de la peau, un pavement ciré où le pas glissait - un peu trop vite quelques fois -, tout était net. "

Aujourd’hui, elle se sent lasse.  Elle a envie d’une pause.  Respirer la brise de mer, glisser son empreinte sur le sable et rêver à l’horizon lointain, se sentir belle…  Oui, elle a envie d’une pause.  Oublier la déchirure de son couple, l’absence du compagnon, égaré dans les méandres de l’Alzheimer, et l’instant de lucidité qui se raréfie…  Elle veut oublier la fatigue de ses jambes qui sans cesse, courent entre maison et foyer, transportent les kilos de linge à laver, les petits plats qu’il aime tant, la douceur de l’amour et la douleur face aux ravages de la maladie.

Elle s’en va à la mer.  Et je l’accompagne jusqu’au car.  Je souris devant sa langue bavarde, dépose ses bagages.  Un baiser sur la joue, un sourire tremblant, de l’excitation dans le regard ému…  Elle est partie.  Et je reste là, figée sur le macadam.  Je contemple le vide de l’absence.

pomme Kanzi



L’Objet du jour sera une pomme.  Pas n’importe quelle pomme.  Une pomme Kanzi.  Peut-être la connaissez-vous ?  Son nom d’origine sud-africaine, signifie " trésor caché " mais elle a été créée en Belgique – vous l’aurez deviné : je suis native de ce pays.  

" Savourer une Kanzi, c’est se laisser séduire et profiter des merveilles que nous procure Mère Nature "* 
  A la fois sucrée et acidulée, juteuse et croquante, elle habille d’un rouge exquis, sa teinte de fond jaune-vert.  Qui la voit ainsi vêtue, ressent aussitôt, une envie irrépressible de mordre dans sa chair, de mettre à nu sa blancheur frémissante.

Mordre dans sa chair...  Dans ma mémoire, émerge soudain, un souvenir d’enfance.  Avais-je cinq ans ?  Ma mère et moi étions assises côte à côte dans la cuisine.  Nous échangions nos mots et nos silences.  Le temps coulait heureux. 
Mon regard glissait en catimini vers le bras nu de ma mère.  Il était blanc et rond.  Il était appétissant. Comme la farine blanche qui voltige gaiment lorsque ma mère pétrit la pâte de nos futures tartes aux fruits.  Comme la rondeur à la couleur crème de la pâte boulée .  En fin de travail, je pouvais la creuser de mes doigts et en extraire un peu de matière que je mangeais goulument. 

Le bras blanc et rond de ma mère.  Il était toute la douceur du monde.  Il attisait ma faim. 


- Je peux mordre dans ton bras? demandais-je à ma mère. 

Elle disait : oui.  A chaque fois.  Alors, je mordais dans sa chair frémissante, doucement, jusqu’à cette résistance de la peau entre plaisir et douleur.  J’avalais comme une affamée, ma mère toute entière et sa douceur, j'avalais la terre, les étoiles, la nuit, tout l'univers...  Puis, je relevais la tête, le regard fier, la lèvre repue.  Je me sentais forte, si forte que je pouvais parcourir le monde avec la même aisance que Petit Poucet et ses bottes de sept lieues.  J’avais, ancrée en moi, la certitude que plus jamais, je ne vivrais la douleur de l’absence.



*Urs Luder, CEO de GKE ( site http://www.kanziapple.com/press/be )

25 avril 2014

Un Objet, un Jour

C’était un jour de lassitude, un jour de doute.  Une insatisfaction vous bouleverse jusqu’au plus profond de soi, comme un séisme aux premiers jours de la terre.  Et vous tombez à genoux, le corps humble, laissant couler ces mots : « je ne sais plus »… Quand tout à coup l’objet se dévoile – juste un peu – à votre regard, comme une seconde chance qu’il vous appartient de saisir ou non.  Et vous renouez avec les mots…
 

LheurePresente



Aujourd’hui, l’Objet est un recueil de poésie « L’Heure présente » d’Yves Bonnefoy.  Il m’est venu l’envie de partager avec vous, ce poème : Le lit, les pierres.

Le premier Homme, la première Femme posent leur regard sur l’Objet, lui donnant un nom tour à tour.

« Ecrire à deux le monde aurait quelque sens… » dit le poème. 

Et le sens de l’Objet se dévoile, couche par couche, il s’épèle, il s’écaille sous le regard changeant du jour qui passe, jusqu’au « lit au loin, déjà couvert de pierres. »

Elle nomme le lit, qui est plus vaste
Que le pays qui s’étend devant eux,
Ce désordre de flaques et de joncs,
Et de lumières, où des ailes remuent.

Et lui nomme la pierre,
Ses masses fissurées, ses grands creux d’ombre.
Puis l’un et l’autre nomment la nuit qui vient,
Un pour la dire obscure, l’autre claire.

Que l’on donne deux noms à ce que l’on aime !
Ecrire à deux le monde aurait quelque sens,
Dit à Adam rêveur Eve soucieuse.

Ils vont, ils ont nommé, tant les mots veulent bien,
Une maison, le safre, une huppe, un ravin,
Un lit au loin, déjà couvert de pierres.


in L’Heure présente et autres textes
de Yves Bonnefoy
Ed. Gallimard 2014

 

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